Un peu  de culture #6

alfred

Titre : Les deux Alfred – Un film de Bruno Podalydès, avec Denis Podalydès, Sandrine Kiberlain & Bruno Podalydès – Sorti en juin 2021

Résumé
Alexandre, chômeur, a deux mois pour prouver à sa femme qu’il peut s’occuper de ses deux jeunes enfants et être autonome financièrement. Problème : la start-up qui veut l’embaucher à l’essai a pour dogme : « Pas d’enfant ! »…

Pour
Le vieux Denis Podalydès découvre le monde du travail profondément changé par la révolution numérique. La confrontation de ce « Zadig moderne » à la violence de l’ubérisation est gentiment marrante.

Contre
Le principal défaut des Deux Alfred est de passer un an après Effacer l’historique (critiqué dans Mazette n°18). La comparaison est inévitable, en raison de leur thème et de l’acteur commun Podalydès. Et elle est mortelle pour Les deux Alfred. Les Grolandais parvenaient à concilier gags, moments poétiques et satire sociale. Les Podalydès montrent la vie privée détruite et les ravages du monde de l’entreprise « 2.0 », mais leur optimisme naïf (le retour au terroir comme échappatoire) est moins convainquant que la fin d’Effacer l’historique, où les personnages, après avoir lutté ensemble en vain, retournaient à leur désespoir.  

Note : 3/5

proieombre

Titre : La Proie d’une ombre – Un film de David Bruckner, avec Rebecca Hall – Sorti en septembre 2021

Résumé
Suite à des cauchemars, Beth commence à fouiller dans les affaires de son mari brutalement décédé, en quête de réponses. Seule dans la maison au bord du lac qu’il avait construite pour elle, la folie la guette…

Pour
Il y a la floppée de films gores et paresseux tendance Saw et il y a ceux, plus rares, qui s’inscrivent dans le sillage de Shining. La recette de la maison hantée est archi-connue, si bien que la barre est haute. Pourtant, La Proie d’une ombre réussi son pari : nous faire peur (les traces d’ongles de ma chérie sur mon pauvre bras en témoignent). Point d’effets stroboscopiques sur de la barbaque, tout le sel du film réside dans une enquête passionnante (connait-on réellement la personne avec qui on vit ?) et une mise en scène magistralement pensée (les miroirs).

Contre
Quelques facilités, la fin ouverte, un classicisme un peu trop appuyé.  

Note : 3,5/5

squid game

Titre : Squid Game – Une série de Hwang Dong-hyuk, avec Jung-jae Lee, Park Hae-Soo, Jung Ho-Yeon – Sorti sur Netflix en septembre 2021.

Résumé
Tentés par un prix alléchant en cas de victoire, des centaines de joueurs désargentés acceptent de s’affronter lors de jeux pour enfants aux enjeux mortels.

La série sud-coréenne a fait couler beaucoup d’encre, mais la meilleure porte d’entrée pour comprendre son succès est la globalisation. Culturelle, d’abord : la série déborde de codes esthétiques que même les moins geeks d’entre nous savent reconnaître. L’enfance est convoquée et détournée (poupée des films d’horreur Saw, masques en forme de logo PlayStation pour les exécutants / en forme d’animaux du jeu vidéo Hotline Miami pour les VIP, etc). Il y a également les jingles précédents les « jeux » et les couleurs acidulées inspirées des émissions de télé-réalité qui placent des candidats dans des situations humiliantes. Cette globalisation culturelle, Netflix l’incarne à la perfection en servant la série TV sur un plateau. Que le spectateur soit en France ou en Corée, un clic suffit pour y accéder…

Impossible de ne pas ressentir un malaise lorsque les « jeux » sont vus à travers un écran par l’organisateur, ou d’une scène de théâtre par les VIP : nous sommes les voyeurs qui tirons plaisir au spectacle de la violence dans sa pureté. Rien de bien neuf : Pasolini avait déjà mis en place ce procédé formel en 1975 dans Salò ou les 120 journées de Sodome.

Cette globalisation, sous prétexte de normes économiques et de bons sentiments (la paix dans le « village global »), a contaminé tous les continents et détruit les structures anciennes, déraciné les hommes et les peuples de leurs cultures et de leurs traditions. Le spectateur est choqué lorsqu’il découvre le visage des exécutants : des jeunes à peine sortis de l’adolescence ! L’instruction et l’éducation sont donc vaines, puisque les nouvelles générations ne reconnaissent qu’une seule valeur : l’argent. Ne pas en avoir fait de vous le dernier des parias, que ce soit en France ou en Corée. La série fait la démonstration sidérante que le monde en dehors des « jeux » est encore plus violent !

A la différence des Saw et autres Battle Royale, c’est volontairement, pour de l’argent, que les participants se lancent dans les « jeux » (ce qui rapproche Squid Game de l’excellent film d’Yves Boisset, Le prix du danger). Pour souligner l’adhésion des participants aux « jeux », un vote à la majorité a lieu, satire douloureuse à la fois de notre démocratie malade et des émissions du type Le maillon faible. La vie humaine compte désormais pour rien (répétition des scènes de fours crématoires — allégorie des camps de la mort). Nous voilà tous dans un « camp global » et que les meilleurs gagnent…

Note : 5/5

Le Marteau