REPLANTER

Si l’homme n’avait pas existé, la planète serait recouverte de forêts. La vie se déploierait uniquement dans un milieu humide et opaque, distancée du ciel comme si elle était sous l’eau. Seules les montagnes se détacheraient de la mer végétale, à la manière d’îles crevant la surface arborescente.

La forêt empêche toute vision générale. C’est un labyrinthe qui égare l’œil. L’animal, empêché de voir, a développé l’odorat, cette perception irréfléchie qui le ramène à ses instincts. Or, l’intelligence fonctionne sur le regard et non sur les odeurs. Pour développer une pensée conceptuelle, l’homme a dégagé des clairières. La forêt impose un contact rapproché avec l’ennemi ou le prédateur. Chaque rencontre est singulière. En revanche, dans un monde sans arbres, la vision globale permet l’anonymat de l’ennemi. Il est tué à distance par les flèches. On ne découvre son visage qu’une fois qu’il est mort.

Pour établir la rationalité que revendique notre société scientifique, l’homme coupe les arbres. L’énorme entreprise de déforestation se poursuit encore, notamment sur la forêt amazonienne. La première arme contre la forêt a été le feu, ce premier instrument à effet de serre qui transforme les arbres et leurs personnalités en plaines géométriques. Des machines rationnelles abattent aujourd’hui les arbres qui font de l’ombre au pouvoir des États.

De la même façon que les poissons ont émergé des océans pour s’installer sur les continents, l’homme émerge des forêts pour s’installer dans le désert. La forêt a proposé aux anciens poissons, devenus reptiles, oiseaux ou mammifères, un océan de substitution. L’homme remplace le couvert des arbres par les toits des habitations. Forêts de pierre aux formes mathématiques, les villes sont des jungles mortes où l’homme se protège des agressions du soleil.

Mais le four climatique produit par notre activité thermodynamique nous fait maintenant prendre conscience qu’il faut planter des arbres. Il nous faut accepter de revenir à la forêt, cet espace où nous ne voyons rien. Car, dans notre monde où tout est devenu visible, apparaît la grande invisible : la mort. Ce que dissimulent les grands bois, c’est la vie.

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Planter des arbres, c’est planter du mystère, faire pousser notre ignorance. Le moindre arbre nous dépasse, une forêt en sait plus que toutes les sciences, déléguons-lui alors la régulation du climat. Pourquoi s’en faire ? La nature est responsable, elle s’occupe de tout. Notre seule responsabilité est de la laisser faire.

Jean-Luc Coudray

Narration : Mélaka