Qui a tué Kurt Cobain ?

Nirvana, c’étaient mes années collège. J’aimais me teindre les cheveux, dessiner des obscénités sur mes jeans, porter des t-shirt à l’effigie des groupes de métal à la mode. Je me prenais pour un rebelle, jusqu’au jour où une fille un peu plus âgée a levé un sourcil puis a pouffé de rire en voyant ma dégaine dans la rue. En resongeant à cette petite humiliation, j’ai compris pourquoi elle se riait de moi. Et, en extrapolant, pourquoi Kurt Cobain s’est tué…

Ma petite crise d’adolescence entrait dans un schéma générationnel balisé. Contre quoi je me révoltais, au juste ? Contre mes parents, contre les adultes, contre les bourgeois ? Mais mon attitude agressive envers la société ne faisait en réalité que l’amuser : les piercings, tatouages, vêtements troués, paire de Doc Martens et les doigts d’honneur, c’était des trouvailles de la génération de mes parents ! Je ne faisais que reprendre les codes qu’ils avaient instaurés avec le mouvement punk de la fin des années 1970 – qui s’était avéré inoffensif envers le système. La grande force du capitalisme, c’est sa plasticité, sa capacité à mâcher et remâcher ce qui s’oppose à lui.

Musique, cinéma et médias sous couvert de parler des problèmes des jeunes, contribuent à canaliser le feu dans leurs cœurs, et se rendent donc complices du système. La photo du Che, révolutionnaire pour l’éternité, est vendue et distribuée partout, y compris comme mascotte d’une grande banque du Luxembourg en 2003 ! Bon, le Che est mort et s’en fout. Mais pour les artistes intègres qui ont conscience de voir leur image et leur œuvre exploitées, c’est insupportable. La musique ne change pas le monde, mais le monde peut corrompre votre musique, ou du moins essayer : « Le fait est que je ne peux pas vous tromper, aucun d’entre vous. Cela n’est honnête ni pour vous ni pour moi. Le pire crime auquel je puisse penser serait de duper les gens en prétendant que je m’amuse encore à 100% » (lettre d’adieu). 

Alors, pour échapper à la réalité, Kurt Cobain s’envoyait des quantités phénoménales de médicaments et d’héroïne. Cette stratégie précaire d’évitement fonctionne lorsqu’on est assez jeune, avec un sentiment (trompeur) d’invincibilité puisque notre carcasse semble capable de se remettre de tout : grosse cuite, défonce, fête du slip… Jusqu’au jour où notre corps nous fait payer l’addition, et alors aucune drogue au monde ne parvient à calmer l’angoisse et la douleur. Kurt mentionne ses maux de ventre qui lui pourrissaient la vie : « Je vous remercie tous, depuis le gouffre brûlant de mon estomac nauséeux » (lettre d’adieu).

IMG 5238

Vous allez me dire : « Kurt était un artiste, la drogue comblait un vide de nécessité et d’imagination ». Ou encore : « Kurt se droguait parce qu’il cherchait à retourner à une vie de marginal ». Mais le monde du show-biz fourmille tellement de camés que c’est devenu la norme. Kurt ne faisait qu’enfiler le t-shirt sale de Sid Vicious… en sachant pertinemment ce qui lui était arrivé. 

Qui l’a tué ? Pour les fans, c’est la presse à scandale pour avoir détruit sa vie privée. Pour les abrutis de complotistes, c’est son épouse Courtney Love parce qu’il voulait rompre. La vérité (mais qui la connait ?) c’est que Kurt était dans la pire des situations : une caricature consciente d’en être une : « Je ne peux pas me faire à l’idée que [ma fille] puisse devenir le rocker misérable, autodestructeur et suicidaire que je suis aujourd’hui » (lettre d’adieu). Dans le vide culturel qui nous entoure, toutes les planches étaient pourries. Il n’avait nulle part où se raccrocher. Mettez Kurt dans la même pièce qu’une arme à feu et vous n’aurez pas longtemps à attendre. Lorsque la mort est venue le ramasser, elle a levé un sourcil et émis un bref ricanement. Et moi, j’ai pleuré.

Le Marteau

Narration : Mélaka