Pour le lobby agro-industriel, rien ne vaut une bonne guerre !

Alors que la France et l’Union européenne n’ont aucun risque de manquer de céréales suite à l’agression de l’Ukraine par la Russie, le lobby agro-industriel européen met en scène une pseudo-tension alimentaire pour justifier l’abandon des programmes écologiques en agriculture, avec le soutien actif du gouvernement français.

Cela n’a pas manqué. À peine l’agression russe avait-elle bloqué l’exportation des stocks de blé ukrainien, le COPA-COGECA demandait solennellement l’abandon par l’Europe du programme structurel « Farm to Fork ». Bon, expliquons de quoi il s’agit. Le COPA-COGECA est la fédération européenne des syndicats agricoles industriels et de l’agro-chimie. C’est l’équivalent européen de la FNSEA, avec une collusion encore plus explicite avec les industries chimiques et les multinationales agro-alimentaires. La stratégie « Farm to Fork », récemment adoptée par l’Union européenne, vise à faire évoluer les pratiques agricoles vers un meilleur respect de la biodiversité, moins d’impact climatique et plus d’autonomie.

Ah, c’est vrai. La guerre en Ukraine pose un problème évident à l’agriculture européenne. À l’exception des alternatives minoritaires comme l’agriculture biologique, les réseaux de paysans autonomes et l’élevage herbager, l’immense majorité de l’agriculture européenne est terriblement dépendante du gaz russe – et dans une moindre mesure des cultures ukrainiennes.

Pourquoi le gaz russe ? Parce que les engrais azotés. La fabrication des engrais azotés exige une forte consommation de gaz, et la filière est de fait basée sur celui vendu par la Russie. Le coût de ces engrais augmentait déjà depuis un an, il explose avec l’embargo (trop partiel et imparfait) décrété en réponse à la guerre menée en Ukraine par Poutine et ses amis.

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Pour les cultures ukrainiennes, c’est un peu plus compliqué. Formellement, la France importe peu d’Ukraine ou de Russie. Mais elle importe énormément de soja d’Amérique du Sud, pour nourrir son bétail industriel. Ah oui, il faut souligner ici que l’élevage laitier français est semi-industriel : les vaches sortent dehors mais mangent surtout du maïs français et du soja brésilien. L’élevage viande a l’air d’être à l’herbe, mais seules les vaches mères le sont : la plupart des jeunes bovins sont engraissés dans des usines à viande étrangères, à base de céréales et de soja importé·e·s. Dès lors que l’Ukraine et la Russie ne peuvent plus exporter leurs productions agricoles, les autres marchés plus centrés sur l’alimentation humaine (Afrique du Nord notamment) cherchent à se replier sur les sources sud-américaines, ce qui crée une tension sur les prix, au détriment des éleveurs français.

Par chance, l’agriculture biologique permet de s’émanciper de ces deux dépendances à la fois : elle ne consomme aucun engrais azoté de synthèse, ce qui est d’ailleurs bénéfique au climat, et elle nourrit ses vaches à l’herbe sans importer de soja ou de céréales. La stratégie « Farm to Fork » contribue donc à résoudre à long terme cette double crise. De façon logique, le lobby agro-industriel demande donc de… l’abandonner. Fini le soutien à la bio et aux démarches agroécologiques intermédiaires. Fini le maintien de bandes non-cultivées pour préserver la biodiversité indispensable à la viabilité technique de l’agriculture. Intensifions l’élevage, consommons encore plus d’engrais et de pesticides. Ben tiens.

Imaginez ici un rire nerveux et des yeux exorbités. Puis respirez un grand coup, ce n’est pas fini.

Avec un cynisme désespérant, le gouvernement français va encore plus loin en affirmant que l’intensification de notre agriculture est nécessaire pour fournir à manger aux pauvres peuples africains menacés par la famine. Qu’il y ait une menace est réel : lors de tensions sur les stocks alimentaires, les prix augmentent et les populations les plus pauvres ne peuvent plus se nourrir correctement. La faim n’est pas un problème de disponibilité (l’agriculture mondiale produit 50% de plus que les besoins de l’humanité) mais d’accès économique, de pauvreté. Mais cette tension vient d’une part du détournement d’une partie de la production mondiale vers l’élevage industriel, et d’autre part de l’économie agricole mondiale néolibérale qui empêche ces pays de développer leur propre autonomie. Il faut dire les choses très clairement : l’objectif du gouvernement français, de la FNSEA et du COPA-COGECA n’est pas de nourrir ces populations en urgence, mais de profiter de la situation pour récupérer les parts de marché libérées par l’Ukraine et la Russie. Détruire encore plus l’environnement en Europe, détruire toujours les agricultures vivrières africaines, pour le bénéfice des actionnaires de l’agro-chimie, des multinationales agro-alimentaires et des plus gros agriculteurs européens.

Comme dans les westerns de bande-dessinée : dès que les armes crachent, les vautours rappliquent.

Jacquou le Croquant

Narration : Félix Lobo