Quand je me compare, je me console

« Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console. »

Cette phrase, dont on ne sait pas réellement qui l’a prononcée en premier, je la comprenais déjà il y a quelques années, mais je ne me la suis pas vraiment appropriée avant d’avoir des gosses.

En matière d’éducation, on est toujours soumis au regard des autres, et on se sent nuls quand nos gamins nous font des crises de nerf devant tout le monde. Heureusement, ces mêmes autres sont aussi parfois nos sauveurs.

Car j’ai beau parfois me sentir mauvais père – comme vendredi quand j’ai encore cédé à la demande de ma fille Lili de lui acheter un doudou-chat, moche et cher, alors qu’elle en est à son deux-centième –, les autres parents me montrent régulièrement qu’on peut être bien plus mauvais. Généralement, on les trouve dans les grandes surfaces, en semaine ; mon sauveur, je l’ai croisé ce matin, à Intermarché. C’était ce qu’on appelle un sacré gaillard, très américain, comprenez à cela qu’il était obèse, en short, malgré la fraîcheur de l’hiver, une casquette sur la tête, et la voix qui porte. Je l’ai vu de loin, ou plutôt entendu car ce sont ces mots discrets qui me sont parvenus en premier : « Il est où le cassoulet ? », alors qu’il était à six bons rayons de moi. Quand il s’est approché, j’ai remarqué qu’il était en claquettes, que ses yeux se faisaient un peu la gueule, car ils boudaient chacun de leur côté, et qu’il était avec son fils d’une dizaine d’années et sa fille un peu plus jeune.

Mon nouvel ami, que je vais prénommer Donald, en hommage à un autre américain raffiné, déambulait dans les allées avec l’assurance des imbéciles et c’est dans le rayon des saucissons que je l’ai croisé, toujours avec son rejeton. Il a palpé un saucisson sec, a regardé ses enfants – enfin, son œil droit les a regardé, le gauche étant toujours rivé au saucisson – et a dit de sa douce voix :

– Parfait, ça, pour se le mettre dans le cul.

Puis il est reparti.

J’ai poursuivi mes courses, il y avait des promotions sur le whisky, ce qui me permettait de m’offrir un 12 ans d’âge pour le prix d’un bourbon, et c’est dans ce rayon que j’ai recroisé Donald et les glorieux héritiers d’un ADN plein de promesses dont j’ai appris le prénom quand Donald a collé une énorme torgnole au petit garçon en hurlant :

– Tiens, Brian-Lee, tu ne l’as pas volée, celle-là ! La prochaine fois que tu tapes Jenny-Line, je t’en remets une !

Un bel exemple d’éducation paradoxale : une baffe dans la gueule pour rappeler qu’on n’a pas le droit de mettre des baffes dans la gueule. Sur quoi il a ajouté :

– Jenny-Line, arrête de chialer, sinon, je t’en colle une à toi aussi !

Autant aller au bout du paradoxe.

IMG 7778

L’un de ses yeux s’est levé vers moi, mais il n’avait pas honte, je crois même qu’il était fier de lui, car il exprimait un air satisfait, et pour cause, il venait de prouver publiquement qu’il avait une sacrée autorité sur ses gosses.

À cet instant précis, je me suis trouvé intelligent, sensé, et même beau. Car ce matin, Donald m’a permis de ne pas me regarder, mais de me comparer. Et franchement, quel père génial je suis !

D’ailleurs, pour le prouver, je suis allé acheter un nouveau doudou-chat pour Lili !

David Berry

Narration : Félix Lobo