Protection  des riverains contre les pesticides : un coup pour rien

Malgré les injonctions du Conseil d’État, le gouvernement maintient l’essentiel des règles laxistes sur l’épandage de pesticides à proximité des habitations, et joue la montre pour (ne pas) se mettre en conformité avec le droit.

Poussé par des maires et de nombreuses associations, le gouvernement avait été obligé fin 2019 à réglementer l’épandage des pesticides près des habitations. Les dispositions étaient toutefois dérisoires et à la limite de la provocation : les distances non-traitées étaient fixées à 5 ou 10 mètres selon les types de culture. Il faut comprendre que cette distance correspond à ce que l’on appelle la « dérive », c’est-à-dire le brouillard de pesticides en suspension, qui provoque une exposition importante mais brève. Passons sur le fait qu’il suffit d’un peu de vent pour qu’il aille bien plus loin que 10 mètres, pour venir au plus grave : cette disposition évacue totalement la pollution diffuse et constante par volatilisation au champ. Car en fait, entre 25 et 70 % du volume d’un pesticide se vaporise lentement (et de façon invisible) dans les 48 heures qui suivent son épandage sur une culture, et se diffuse dans le voisinage. Une étude allemande a montré, par des analyses de sols, qu’il faut s’éloigner de 100 à 150 mètres pour atteindre une exposition chronique raisonnablement limitée, sans danger notable pour les enfants.

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Mais cela ne suffisait pas. L’arrêté a ouvert la possibilité de réduire encore la distance de protection sous réserve de signature d’une charte départementale. Vous me direz que cela permet d’impliquer toutes les parties concernées et suppose des efforts supplémentaires ? Détrompez-vous et tenez-vous bien. Le dispositif permet au syndicat agricole majoritaire et productiviste (FNSEA) d’élaborer une charte de façon unilatérale, en se contentant de « consulter » les associations du territoire concerné. Voilà une conception assez originale de la contractualisation, où le pollueur s’autorise lui-même à déroger à la règle… Surtout, le principe d’une charte est de s’engager à faire « plus que la loi » pour en retirer prestige ou valeur. Comment qualifier une charte dont le signataire s’engage à faire « moins que la loi » et s’impose au riverain victime ? C’est… Ha ha… Les mots me manquent.

Prenons l’exemple de l’Yonne. Une charte départementale pour réduire les distances de protection a été élaborée unilatéralement par la chambre d’agriculture, sans même en aviser au préalable les associations environnementales et citoyennes siégeant dans les instances agricoles. Lorsqu’elle a été rendue publique, lesdites associations ont seulement été invitées à donner leur avis, ce qu’elles ont refusé de faire face à cette provocation. La charte n’a donc explicitement pas fait l’objet de la moindre « concertation » avec les associations concernées, et ne répond pas aux règles minimales de l’arrêté de 2019. Sans vergogne, le préfet l’a tout de même mise en consultation publique, puis validée. Pire : la version finale n’était pas conforme à la version mise en consultation, et les modifications allaient à rebours des avis donnés dans la consultation. Interdit de rire.

Des associations nationales ont évidemment attaqué ce dispositif devant le Conseil d’État (CE), qui a cassé plusieurs dispositions et enjoint au gouvernement d’y remédier avant le 26 janvier 2022. Devinez quoi ? L’arrêté et le décret rectificatifs ont été publiés pile le 26 janvier. Mais ils sont en réalité vides et hypocrites. Le CE demandait que les distances soient augmentées pour tous les pesticides cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques ? L’arrêté promet que cela sera fait en octobre. Le CE demandait que les établissements accueillant des travailleurs soient inclus dans les bâtiments protégés ? L’arrêté repousse la disposition à fin juillet (après les élections). Le CE exigeait qu’une information des riverains sur les traitements (dates, etc.) soit mise en place ? Le texte la repousse de 6 mois et n’y fixe aucun cadre ; il pourra donc s’agir d’un simple post-it sur un obscur tableau en mairie.

Entre la date, les délais d’application et la vacuité des modifications, ces textes sont un condensé de cynisme politique. Difficile de dire plus ouvertement : « Nous nous moquons de vous ». Libre à chacun·e de le reformuler dans un langage plus cru, vous serez encore en-dessous de la réalité.

Jacquou le Croquant

Narration : Félix Lobo