Promesses  de campagne

– Et toi, que feras-tu si tu es élue déléguée de notre classe ?

Ana se lève, et vient prendre place sur l’estrade, face à ses camarades.

– Si je suis élue, commence la fillette, j’augmenterai le nombre de récréations.

La maîtresse fronce les sourcils, le nombre et la durée des récréations ne font pas partie des attributions des délégués de classe de CM2, mais bon…

– Je permettrai à ceux qui le souhaitent de faire la sieste et je remplacerai la maîtresse par…

– Stop, Ana ! Tu exagères, là.

À la récréation, la maîtresse retrouve la jeune fille pour lui expliquer qu’on ne peut pas promettre n’importe quoi quand on fait campagne, que gagner sur des mensonges est malhonnête et déloyal. Ana boude. Elle a quand même le droit d’exprimer ses idées, et peut-être qu’elle ne parviendra pas à mettre tout cela en place, mais au moins elle essaiera.

Elle est comme ça, Ana. Et en plus, ça marche, car elle a gagné l’élection des délégués. En sixième aussi d’ailleurs, en promettant des frites à la cantine tous les jours ; en cinquième en proposant de faire virer Monsieur Maindron, ce vieux cochon qui faisait toujours venir les filles en jupe au tableau, comme par hasard ; et en quatrième, en jurant aux garçons qu’elle imposerait à Mademoiselle Julieux, la jeune prof de musique sexy, de venir en tenue de soubrette. Il n’y a qu’en troisième qu’elle a perdu l’élection car Thierry Frémand a fait courir le bruit qu’elle avait sucé Grégoire dans les chiottes, alors que non, elle lui avait juste roulé une pelle, même si Grégoire assure qu’il avait passé ses mains sous son T-shirt, mais Ana démentait en disant que c’était par-dessus le soutif… bref, c’était sa première défaite politique.

Depuis, Ana, devenue Anne, a multiplié les victoires, notamment en promettant des vélib’ et des autolib’ pour accéder à la mairie de Paris. Aujourd’hui, c’est la présidence de la République qu’elle vise, et ce serait beau, symboliquement, une femme issue de l’émigration et du prolétariat, au plus haut poste de l’État ! Et pour cela, elle n’hésite pas à utiliser cette bonne vieille méthode de la promesse alléchante mais intenable, car elle a déclaré vouloir doubler le salaire des enseignants. Rien que ça ! Pendant qu’on y est, pourquoi ne pas les tripler, et offrir une voiture de fonction, permettre l’euthanasie de tous les gamins aux prénoms improbables, et passer à 44 semaines de vacances par an ? Plus c’est gros, plus ça passe, paraît-il.

hidalgo

Ceci dit, les promesses de campagne, c’est l’occasion de bien se poiler. Retenons le truculent Ferdinand Lop, « candidat perpétuel à toutes les élections à venir », en 1946, qui proposait de prolonger la rade de Brest jusqu’à Montmartre, de nationaliser les maisons closes pour que les prostituées soient des fonctionnaires, de construire des trottoirs roulant pour leur faciliter le travail, de raccourcir le temps de grossesse de neuf à sept mois ou d’installer Paris à la campagne. Ferdinand était un formidable comique, bien entendu et n’a jamais réellement été candidat.

Sauf qu’Anne, elle, ne plaisante pas. Et quand elle dit qu’elle va doubler le salaire des profs, moi j’entends : « Y aura tous les jours des frites à la cantine ».

David Berry

Narration : Mélaka – musique : Poko