La mort  du média indépendant

La fin de notre aventure avec Mazette correspond tristement à cette époque où le contre-pouvoir qu’exercent les médias indépendants est de plus en plus difficile à maintenir dans la durée…

Bien sûr, on peut chercher des causes. De plus en plus de médias, en France comme dans le reste du monde, sont rachetés par des milliardaires. Avec l’aide de la publicité, ils en ont confisqué la parole. Ils choisissent qui parle, de quoi, comment, et surtout de quoi on ne parle pas.

L’arme la plus efficace de ces médias n’est pas la fake news, c’est le bruit de fond. Comme avec la publicité, l’idée est de matraquer nos cerveaux de sujets inintéressants, pour couvrir le bruit d’informations qui pourraient inquiéter l’ordre des choses. Le meilleur de ces sujets depuis toujours : le sport. On voit aussi de plus en plus de faits divers montés en épingles, des disparitions suspectes, ou des naissances de septuplets…

Autre astuce : on aborde un sujet important, mais par l’angle le plus inintéressant possible. Par exemple, au lieu de parler des responsables du bouleversement climatique et de la pollution grandissante, on va parler pendant des heures de la COP26 et de sa résolution finale. Et si l’on parle du rapport du GIEC, ce sera en 10 secondes max.

Qui, sinon les médias français, ont crédibilisé les candidats d’extrême droite, tout en ridiculisant ceux d’extrême gauche ? On parle pendant des semaines des sondages, sans parler des programmes, et la révélation par les Pandora Papers de la fraude fiscale de plusieurs milliers de personnalités médiatiques, dont trente-cinq chefs d’État et cent trente milliardaires, ou par Médiapart de l’implication d’Emmanuel Macron dans l’affaire Alexis Kohler, n’ont fait que quelques lignes dans les journaux, avant d’être enterrées.

Sujet roi depuis une vingtaine d’années, l’islam, la taille des barbes et des voiles, le terrorisme. Mais rien sur le terrorisme d’État, celui qui sème la terreur dans les banlieues françaises, celui qui bombarde en Syrie, en Irak, au Mali, ou celui qui entretient la corruption, la précarité et la misère dans ces pays.

Bollore

D’ailleurs, quand on parle de politique étrangère, l’indignation médiatique est à géométrie variable : Infinie pour les dictateurs afghans, nulle pour les dictateurs saoudiens. Infinie pour l’arrestation d’Alexeï Navalny, nulle pour celle de Julian Assange. Infinie pour le sort des Ukrainiens, nulle pour celui des Palestiniens…

Mazette avait un autre projet, mais la société capitaliste en a décidé autrement. Un journal meurt, un autre renaîtra, la lutte continue… En attendant, rendez-vous dans la rue !

Dror

Narration : Félix Lobo