Pour des courses plus responsables

Si je n’aime pas trop les gens, en revanche, j’aime bien faire les courses, parce que remplir mon caddie, c’est comme remplir mon estomac, ça répond à ma boulimie qui elle-même trahit mes psychoses.

Mais bon, comme faire des courses implique de voir des gens, ça me laisse toujours une sensation mitigée, car « L’enfer, c’est les autres cons », comme disait Socrate, je crois… je ne sais plus trop, je n’étais pas trop assidu en cours de philo, parce qu’il y avait deux heures de cours le mercredi matin, de huit à dix, et moi je préférais dormir puis les Totally Spies ; j’adorais quand Clover faisait sa pétasse mais je trouvais Sam trop sérieuse.

Je fais donc les courses en semaine, parce que le samedi, c’est le jour des cons comme l’a probablement aussi appelé Socrate, mais du coup, y a tous les vieux, et ça c’est lourd. Quoique ce sont les meilleurs vieux, finalement, parce que le samedi, y a le combo vieux et cons, ceux qui emmerdent les honnêtes travailleurs, et c’est un mardi matin que je suis tombé sur mon voisin Albert. Je ne supporte pas Albert, « de toute façon, tu ne supportes personne ! » me dirait ma femme, ce qui n’est pas complètement faux, et je répondrais bien qu’elle, je la supporte malgré ses remarques désagréables, mais ça me coûterait cher, et merde… Albert m’a vu et vient me saluer. Moi, quand je rencontre des gens que je connais, je ne peux pas m’empêcher de regarder leurs caddies pour les juger, parfois pour ajouter des choses. Tiens, ce jour-là, par exemple, voyant qu’Albert avait acheté un énorme concombre, j’ai profité du moment où il choisissait son PQ pour glisser un flacon de vaseline dans son caddie. En fait, son caddie était chargé de trucs aberrants, enfin aberrants pour un écologiste comme moi, Albert n’achète que des produits suremballés : une tomate unique coupée en deux et serrée dans un ensemble polystyrène film plastique, du melon en cubes dans un boite en plastique, et un ultra-maxi-ensemble assiettes + couverts + gobelets jetables, car Albert m’a dit un jour : « moi, j’ai la flemme de faire la vaisselle, alors je n’achète que des trucs à jeter ».

davidberry700

Je m’étais longtemps demandé pourquoi ses poubelles étaient si nombreuses quand il les sortait sur le trottoir, moi je croyais qu’il portait des couches, et ayant eu des gosses, je sais que ça prend de la place, mais en fait non, ce qui ne m’a pas empêché de glisser des couches pour adultes incontinents quand il a laissé son caddie pour se choisir du pinard dégueulasse, lui aussi dans une bouteille en plastique. Et comme il m’a encore parlé, durant nos 16 secondes d’échange, de ma haie qui dépassait de 3 cm, j’ai glissé discrètement dans sa poche de veste, au moment où il se penchait pour acheter du camembert emballé en parts individuelles – sans déconner – des culottes de jeunes filles, genre du 6 ans, avec antivol. Du coup, ça a fait une animation sympa devant les caisses, quand l’alarme a sonné, même si j’ai trouvé que Momo, le vigile, avait été un peu brusque. Mais bon, on ne sauve pas la planète sans casser des vieux.

David Berry