Mal Bouffe

« Les enfants, Pupuce, il faut arrêter de bouffer comme des irresponsables, des viandards inconséquents, insensibles au sort de la planète et de la vie elle-même et…
– Papa, je t’en prie… me balance Lili, blasée.
– Comment ça « je t’en prie » ?
– Ça y est, t’as regardé un reportage à la télé sur le réchauffement climatique, la disparition des merveilles de la planète, ou de je ne sais quel piaf, et du jour au lendemain, t’es devenu un défenseur de la nature, végétarien et chiant. Tu vas nous faire bouffer du quinoa et du tofu, et dans une semaine, ce sera passé… »

Pupuce pouffe de rire, en gros les filles de la maison me prennent pour un con, heureusement que Fiston n’est pas de ceux-là.

« Moi, je veux pas manger du quinoa et du toufou… »

Merde, lui aussi est de ceux-là.

Mais je vais leur montrer, moi, que je peux tenir plus d’une semaine ou deux, et qu’on peut manger eco-respsonsable, et tout et tout. Alors j’ai écumé les pages healthy-vegan-food de google à la recherche d’un plat qui mettrait tout le monde d’accord : le burger frites ! Il a fallu que j’aille à la Bio-Machin pour trouver tout ce dont j’avais besoin, des petits pains faits avec des farines issues de céréales dont je ne connaissais pas le nom, des steaks de tofu – je ne saurais pas dire à quoi me font penser ces… trucs, c’est quoi au fait ? –, du faux fromage fait sans lait – mais avec quoi ils font ça ? –, un légume ancien dont j’ai déjà oublié la variété qui allait parfaitement remplacer les pommes de terre pour faire de ces « frites » un atout santé. Bref, j’ai cuisiné comme un malade pour leur faire de la bonne bouffe costumée en malbouffe.

Au moment où j’appelais la petite famille pour passer à table, coup de fil de mon patron pour une urgence au boulot. J’ai emballé mon repas et filé, souhaitant un bon appétit à ma famille qui regardait mon repas avec suspicion.

Une fois au taf, après avoir géré l’urgence, j’ai fait réchauffer mon snack au micro-ondes et me suis installé à mon bureau, la faim au ventre et l’espoir de me régaler. Hélas, les frites molles n’avaient des vraies frites que la forme, le steak de tofu n’avait goût de rien et l’ensemble sentait la vieille soupe dégueulasse.

J’ai alors tout jeté dans la poubelle et j’ai pris la route vers le MacDo, avec une grande honte, certes, mais parfois la faim fait oublier la honte. Je suis allé à la borne et j’ai commencé à choisir. Après avoir payé, j’ai entendu une voix familière… celle de ma femme. Elle était sur la borne de derrière, avec les gosses, et avait apparemment balancé mon repas à la poubelle également. On s’est regardés, sans échanger un mot, et on a été tellement gênés l’un comme l’autre – elle, parce qu’elle avait osé balancer le résultat d’une matinée de cuisine de son cher et tendre, et moi parce que j’avais essayé de leur imposer un plat que moi-même je refusais de manger – qu’on a fait comme si on ne s’était pas vu, comme si cette scène n’avait jamais eu lieu.

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Je suis parti avec ma commande, toujours sans dire un mot, et jamais depuis nous n’avons évoqué cet événement. Mais mon trip healthy-vegan-food a quand même été bénéfique car personne à la maison n’ose demander à aller au MacDo, ce mot est devenu tabou, car personne n’a envie de parler de ce triste jour qui reste, encore aujourd’hui, le plus gênant de notre vie de famille.

David Berry

Narration : Mélaka