L’occidentalisation du vivant

La masse de matière artificielle sur la Terre vient de dépasser la masse de matière vivante. Ainsi, notre civilisation vient de réussir à fabriquer, en quantité, autant que la nature en quatre milliards d’années. Bien sûr, l’homme a un peu triché. Pour dépasser la nature, il l’a aussi en partie détruite. Mais, malgré tout, il est allé plus vite que Dieu.

Toutes ces choses artificielles qui s’accumulent sur la planète ne sont pas toutes utilisées. Prenons l’exemple des pneus. Ils servent pendant cinq ans. Puis, ils s’accumulent dans des montagnes pneumatiques en Afrique. Et les pneus sont quasi-immortels. Ainsi, le temps d’utilisation est dérisoire par rapport au temps où l’objet n’est qu’un déchet. Vue l’obsolescence programmée, on peut en conclure que la plupart de nos objets vivent beaucoup plus longtemps sous forme de déchets que d’outils utilisables. Ainsi, cette matière morte qui dépasse maintenant la matière vivante est pour beaucoup une accumulation d’ordures.

    Ce n’est pas en étant minoritaire que la nature va pouvoir recycler nos détritus. Il faudra donc les recycler nous-mêmes. Or, une étude montre que le meilleur recyclage s’épuise au troisième cycle. Car, à chaque recyclage, de la matière se disperse. Que reste-t-il à la fin ? de la poussière éparpillée impossible à récupérer. Et polluante évidemment.

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    L’homme fait quand même des efforts. Il soustrait une partie de la ferraille à la planète en l’envoyant en orbite sous forme de satellites. Le problème, c’est qu’ils finissent tous par retomber.

    Regardons maintenant la nature qui reste. Elle n’est pas entièrement naturelle. En effet, la masse des animaux domestiques dépasse celle des animaux sauvages. L’artificialisation a gagné du terrain également dans le domaine du vivant. Et encore, on n’a pas pour l’instant inventé de vaches bioniques ni de trans-cochons. Mais ça va venir.

    C’est quoi tout cela ? un travail de colonisation. La civilisation occidentale a d’abord colonisé les autres civilisations. Même si les pays dominés ont reconquis leur indépendance, ils sont devenus occidentaux. Maintenant qu’il n’y a plus que l’Occident partout, il colonise la nature. On pourrait parler d’une occidentalisation du vivant. Un pré occidentalisé, c’est un parking. Une forêt occidentalisée, une ville. Un océan occidentalisé, une poubelle.

    La décolonisation n’est pas finie. Il faut décoloniser la nature, lui rendre son indépendance.

Jean-Luc Coudray

Narration : Mélaka