Pour la polémique du mois, il y avait l’embarras du choix.
Il y a eu Corinne Masiero qui s’est improvisée activiste femen au congrès socialiste des Césars 2021. Il y a eu les réunions non-mixtes organisées par l’Unef, qui ont entre autres pour but de parler du vivre-ensemble. Il y a eu Harry et Meghan qui ont lavé le linge sale de la famille royale avec Oprah, dénonçant le traitement infligé à leur fils Archie qui n’est pas assez blanc aux yeux de l’indétrônable Elizabeth. Il y a eu le carnaval de Marseille qui, quoique masqué comme tout carnaval qui se respecte, a été organisé en plein couvre-feu-confinement-alterné-avec-attestation-les-semaines-impaires. Il y a eu Pierrot Ménès qui, à l’heure où j’écris ces lignes, trempe dans la sauce visqueuse des harcèlements lubriques, censurés au passage par Canal + dans le documentaire pourtant fort à propos « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste », sans doute pour ne pas faire le jeu des grossophobes. Enfin, il y a eu la suppression des chiffres romains dans le musée Carnavalet parce qu’apparemment, certains ne savent pas compter jusqu’à XX. C’est de cette polémique dont je vais parler, car c’est celle qui a le moins de risques d’entraîner des poursuites judiciaires à Mélaka en cas de dérapage. Je veux dire, on n’a pas les moyens de payer les avocats.
La nouvelle est tombée. Désormais, le musée Carnavalet écrira sur ses plaquettes Louis 16, Henri 4 ou encore Catherine Demédi 6. Exit donc les chiffres romains, place aux chiffres arabes. Évidemment, ça fait jaser dans les chaumières. De là à parler de Grand Remplacement, je vous en prie, restons sérieux. Nous ne sommes pas sur CNews.
La raison est simplette, c’est le cas de le dire. Il apparaît que de plus en plus de gens peinent à lire les chiffres romains ; en particulier les touristes, qui sont une espèce assez proche de l’Homo sapiens, et les imbéciles, qui sont l’espèce dominante chez les Homo sapiens. Bien entendu, pour garder un semblant de consistance, les équipes marketing du musée ont joué la carte démago en invoquant l’accessibilité pour les personnes handicapées physiques et mentales. On voit mal en quoi une tétraplégie de stade 4 (IV) empêche la lecture des chiffres romains mais passons. De même, la trisomie 21 (XXI) ne réduit pas les capacités intellectuelles à celles d’un enfant de 3 (III) ans mais passons là-aussi.
Ici, une question demeure : cette mesure répond-elle à une réelle demande ou s’agit-il d’une décision proactive par anticipation du désir du consommateur après brainstorming en confcall et keynote des feedbacks ? Nous pencherons pour la seconde hypothèse. Parce que des gens qui vont au musée en se plaignant de devoir faire un effort culturel, c’est un peu comme aller sur le plateau de Quotidien en se plaignant de devoir faire un effort d’inculture. Chaque lieu sa spécificité. Les gens savent où ils mettent les pieds. Dans cette frénésie de la simplification, le catastrophisme ne tarde pas à pointer. Sans verser dans le penchant (désormais réac) à déplorer la déliquescence programmée de la culture, on ne peut que craindre la suite. Car enfin, après, quoi ? Le musée Carnavalet va-t-il simplifier l’orthographe pour n’écrire qu’en phonétique, parce que c’est trop compliqué pour les ignares ? D’une certaine façon, ce serait cohérent, dans la mesure où une bonne partie des étymologies sont latines. Évidemment, les veaux qui ne jurent que par l’utilité et le pratique applaudiront la mesure. Est-ce vraiment utile, nous diront-ils, d’employer les chiffres romains ? Mais mes très chers bovins, ne savez-vous donc pas que l’inutile est parfois nécessaire, sinon important ? L’Art, un coucher de soleil, une bière fraîche ou un baiser fougueux sont-ils fondamentalement utiles à l’être humain ? Non. Pourtant, est-ce bien raisonnable de les supprimer de nos vies ?
Antonin Galano
