Des flics effectuent un contrôle au faciès, ont un tête-à-tête avec un manifestant, remettent en place un masque, examinent une autorisation de déplacement… peu importe le déclenchement, ce qui est étonnant c’est la similarité des expériences vécues par la suite.
A un moment donné de son échange avec les forces de l’ordre, le cerveau du justiciable n’est plus alimenté en oxygène… Mais il demeure conscient de ce qui lui arrive, peut décrire par le menu son tabassage, entend le bruit des hélicos. Hélas il ne parvient pas à discerner le RIO des policiers… Il réalise qu’il est sorti de son propre corps.
-Tu crois qu’il est mort ? entend-il dire un policier.
Au-dessus de lui un tunnel plein de lumière bienveillante l’attire. A l’autre bout, il y a plein de copains attablés à nettement plus de six. Il y a aussi ses grands-parents délivrés de leur Ehpad, d’anciens collègues d’avant le télétravail… Dès qu’ils le voient, les rigolades, accolades et engueulades cessent. Ils l’invitent à les rejoindre.
-Est-ce que ton existence de pion fiché pour ses opinions, surveillé par des drones, vaut le coup ? Amène-toi !
Le sujet revoie alors défiler les derniers mois de sa vie, du lit à l’ordinateur, de l’ordi à la cuisine… Il n’hésite plus ! Son corps spirituel s’élance vers les corps spirituels de ses proches. Lui aussi veut festoyer dans ce restaurant bruyant, parler à des gens choisis, depuis le temps qu’il accumule des trucs à dire il va devenir fou sinon, et picoler c’est mieux à plusieurs, sans se soucier du couvre-feu. Mais il se heurte à une paroi invisible. Par chocs répétés il est ramené en arrière. Il entend à nouveau les flics et les voit autour de son corps. Cette fois-ci leur visage est flouté. Peu à peu il réintègre pleinement son enveloppe charnelle, des coups de pieds hésitent entre le réanimer et l’achever. Heureusement un passant avec son Smartphone les disperse. Le sujet revient alors à la vie, en plein état d’urgence permanent.
Une grande tristesse l’envahit d’avoir retrouvé le monde actuel après avoir entrevu celui d’avant. Si le sujet n’était pas un militant des libertés publiques, il le devient. Certes la liberté comporte des risques ; mais il n’a plus peur de les prendre. Ils ne sont rien en comparaison de ce qu’il perd en renonçant à elle. Et même il aime ces risques. Puisqu’il en revient il est bien placé pour le gueuler : la liberté ou la mort !
Millié
