Les parasites  de l’idéal

Il y a des gens qui font bien leur travail. Ils sont partout, invisibles et consciencieux, et ne font pas de discours. C’est grâce à eux que le pays tourne.

Caissiers, éboueurs, scribes, techniciens, livreurs, comptables, agriculteurs, soutiennent tous les jours en se levant tôt le fonctionnement de la collectivité. Ils sont insuffisamment rémunérés, dévalorisés socialement, risquent le chômage, toucheront des retraites précaires, seront moins bien soignés. Ceux qui les utilisent n’exploitent pas seulement leurs petites mains. Ils exploitent aussi leur idéal. Car ces travailleurs ont des valeurs.

Sans ces valeurs, ils ne travailleraient pas. Ainsi, les dominants, qui n’ont pas de valeurs, se servent des valeurs de ceux qui en ont. Ils parasitent la conscience professionnelle, le goût de la finition, le sens du service, la capacité de dévouement, l’esprit collectif, la satisfaction d’être utile.

Depuis toujours, les valeurs ont leurs parasites. Le mensonge n’est possible que parce qu’il y a des gens qui ne mentent pas, la malhonnêteté n’est possible que parce qu’il y a des gens qui sont honnêtes. Les personnes vertueuses ne permettent pas seulement au monde de tourner. Elles entretiennent également les escrocs.

La masse laborieuse pourrait saboter son travail mais ne le fait pas. Les sociétés corrompues ont pour moteur cette foule anonyme qui œuvre en silence, reçoit les coups, tombe malade et meurt humblement.

IMG 7601

Les dominants méprisent ce qu’ils prennent pour de l’insensibilité. En effet, vu de l’extérieur, une personne qui possède un idéal peut donner le sentiment d’une forme d’indifférence. Traversant les épreuves sans perdre son cap, elle pourrait être prise pour une machine. L’idéal est une loi au-dessus des événements dont le caractère universel peut se confondre avec les lois mécaniques qui font fonctionner un engin artificiel. La machine, soumise à la pureté des lois physiques, a aussi son idéal. Elle ne peut être corrompue.

De plus, les dominants pensent que le travailleur est vertueux par nécessité. Pour conserver son emploi, il serait contraint de bien le faire. C’est nier l’implication personnelle du travailleur, c’est-à-dire son humanité.

Le parasite, par nature faible et instable, ne peut comprendre la régularité de l’ouvrier, du technicien, qui est en relation avec le monde réel. Noyé dans la précarité de sa psychologie imprévisible, le dominant se rassure en exploitant le travailleur parce que ce dernier lui assure un minimum de stabilité psychique.

En vérité, les salauds parasitent l’idéal pour en récupérer une miette.

Jean-Luc Coudray

Narration : Mélaka – musique : Poko