Le traumatisme social

Lorsqu’une personne subit un traumatisme, son moi se disloque. La fragmentation de la personnalité permet d’éviter de souffrir. Chaque morceau du moi, n’accédant plus à la vision d’ensemble qui lui est insupportable, peut alors organiser de modestes tentatives pour vivre.

Nous constatons que la société se disloque de plus en plus. Entre l’atomisation des individus et la parcellisation en communautés, la conscience collective se morcelle. Tout se passe comme si le psychisme commun de notre société se fragmentait pour éviter de souffrir. La question qui se pose alors est de savoir quel traumatisme provoque cette réaction anti-douleur ?

Normalement, le traumatisme appartient au passé. Mais, en ce qui concerne le corps social, il semblerait que le traumatisme se situerait plutôt dans l’avenir.

En effet, même si les conséquences du progrès commencent à se faire sentir, et que nous vivons une artificialisation de plus en plus prégnante, notre situation présente est encore globalement vivable. Aux sombres époques médiévales, les sociétés ont traversé des drames qui ne les ont pas disloquées. Même la dernière guerre mondiale n’a pas atomisé notre conscience collective.

En revanche, l’image que nous avons de notre avenir est plus terrifiante que les pires guerres ou les plus graves famines. L’atteinte directe au socle sur lequel nous vivons, qui est le climat, la nature, la biodiversité, éléments à priori imperturbables, semble nous atteindre plus gravement que les problèmes purement humains.

Et puis l’avenir était depuis trois siècles ce qui justifiait l’idée de progrès. Avant, les sociétés investissaient dans l’autre monde. On supportait tout parce qu’on allait être récompensé en gagnant le paradis. Et depuis trois siècles, nous avons investi dans l’avenir.

L’avenir, c’est le paradis sur terre. Sauf qu’il faut pour cela préserver la Terre. En occupant négativement tout l’espace de la planète, on finit par saturer toute possibilité d’avenir.

La parcellisation empêche de faire des liens. C’est la disparition de la pensée, de la vision globale. C’est une façon de mimer la mort en attendant qu’elle arrive.

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Lorsque les foudres du réchauffement, de la raréfaction de l’eau, des explosions nucléaires, des déplacements de population, ou autres cataclysmes, fondront sur l’humanité, elle aura anticipé son éclatement : elle sera déjà éclatée.

C’est un processus de défense. Il a juste l’inconvénient d’accélérer l’arrivée du problème.

Jean-Luc Coudray

Narration : Mélaka