Le complot

En fait, ce n’était pas un complot. C’était juste ce qu’on appelle « une fenêtre d’opportunité ». Quand on a vu débarquer le virus, on a compris que c’était le moment d’en profiter, mais les choses ne se sont pas passées comme prévu…

D’abord, on a vu que le virus s’attaquait en priorité aux plus pauvres, qui étaient obligés de continuer à travailler pour ne pas mourir de faim. C’était tout bénéf. Et puis il y a eu le vaccin. On a commencé par négocier : ce seront les services publics qui payeront sa mise au point et sa distribution aux patients, et ce seront les entreprises pharmaceutiques qui empocheront les bénéfices.

illu Dror Mykaïa

Emportés par le mouvement, on a demandé plus : on fournira le vaccin en priorité aux pays les plus riches. Nos informaticiens nous ont assuré qu’en un mois, tous les millionnaires du monde pouvaient être vaccinés, et qu’après deux ans à laisser se propager le virus, 3 milliards de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour seraient éliminées (littéralement). L’Afrique, vidée de ses citoyens, devenait le grenier de l’Europe.

Ils étaient formels : cette technique de vaccin à ARN est infaillible et sans aucun risque, pas même besoin d’attendre les éventuels effets secondaires! Et en effet, la première année se déroula même mieux que prévu : 4 milliards de vaccins furent injectés, dans tous les pays riches de la planète, mais aussi aux millionnaires des pays pauvres.

C’est à Noël 2021 et en Russie que les premières crises cardiaques survinrent, au départ une simple incompatibilité avec le caviar. Mais les allergies croisées s’étendirent, et l’Europe et les États-Unis furent décimés courant 2022. Alors que le coronavirus avait disparu de la planète, les vaccinés continuaient de tomber comme des mouches, sans qu’on puisse y remédier.

Pour une raison inexpliquée, j’ai survécu et j’ai d’abord trouvé un job de gardien de chasse à New-York, lorsque Manhattan a été rendu à la nature par les Cheyennes. N’ayant pas été vaccinés, ils s’étaient retrouvés maîtres des lieux, comme avant la colonisation. L’Europe en revanche, trop polluée, fut complètement abandonnée. Aujourd’hui, je suis cireur de chaussures à Lagos, au Nigeria, la nouvelle capitale économique mondiale, mais je ne me plains pas. Il faut dire qu’ici, ils ont retenu la leçon : les hôpitaux sont très bien équipés, la médecine et la pharmacie sont des services entièrement publics, gratuits et sans profit possible. On n’est pas passés loin de la fin du monde, mais cette fois-ci, on ne se fera plus avoir…

Dror

Narration : Félix Lobo