Le comique  de la fin  du monde

Bergson, dans son livre « Le rire », définit le comique comme de la mécanique appliquée sur le vivant. Ainsi, c’est à cause de sa raideur que le héros comique se casse la figure. Ou c’est à cause de sa psychorigidité que l’imbécile nous fait rire.

Freud, qui découvre la nouvelle psychologie américaine fondée sur des tests, des mesures et des évaluations, cite Bergson pour la critiquer. « C’est de la raideur appliquée sur le vivant, » dit-il.

À la lumière de ce point de vue, nous pouvons alors interpréter l’élevage des animaux en batterie, raideur appliquée sur du vivant, comme un énorme gag. Les cultures de tomates géantes en serre hors sol sont également une tentative comique surdimensionnée. La rationalisation du profit appliquée aux ressources naturelles mérite de s’esclaffer. Les monocultures de maïs qui alignent du vivant en rangées et en colonnes dessinent dans nos campagnes un paysage burlesque.

Lorsque la pensée unique de la croissance impose la destruction de la vie, dans une inflexibilité aveugle, c’est certainement pour que l’humanité explose de rire.

Nos dirigeants ont de l’humour mais ils ne le savent pas. Ils sont dans la même situation que le personnage cinématographique qui s’empêtre dans ses maladresses. Tout le monde rit de Laurel et Hardy mais personne ne voudrait être à leur place.

Nous vivons actuellement le film hilarant de la fin programmée du monde. Sauf que seuls les spectateurs rigolent. Or, pour être spectateur, il faut être en dehors du monde. Dieu et les extraterrestres profitent à fond du spectacle que nous leur offrons. Mais l’homme n’a pas la possibilité de passer de l’autre côté de l’écran.

C’est pourtant ce que nous tentons de faire. Bien confortablement installés dans nos fauteuils de spectateurs, dans nos appartements chauffés et isolés, nous assistons en permanence au spectacle du monde sur l’écran de nos téléviseurs, ordinateurs ou portables. Nous cherchons tous désespérément à être derrière l’écran.

C’est pourquoi, plus le monde va mal, plus il y a d’écrans.

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Néanmoins, nous peinons à rigoler franchement. D’abord, le comique de répétition finit par lasser. Ensuite, les acteurs du film sont moins sympathiques que Monsieur Hulot ou Charlie Chaplin. Et puis les scénarios manquent d’imagination. C’est donc à Dieu et aux extraterrestres d’intervenir. Dieu pourrait éveiller les consciences, les extraterrestres recadrer les humains. Du coup, le vivant serait respecté.  Si Dieu et les martiens ne bougent pas, c’est qu’ils préfèrent continuer à rire. Nous allons mourir d’être trop drôles.

Jean-Luc Coudray

Narration : Félix Lobo