Le combat  du siècle

Proche-Orient, Terre Sainte. Il fait beau cette nuit-là à Jérusalem : les étoiles scintillent avec malice sur la toile céleste, la douceur de l’air s’écoule sur les dermes en ruisseau délicieux et les missiles sol-sol strient le ciel de leurs chevelures enflammées. Palestine versus Israël, 74ème confrontation, 11ème reprise. C’est pas pour me vanter mais je ne vais pas parler de ça. Je crains trop de passer pour anticolonialiste ou antiterroriste. Puis de toutes façons, le vrai combat de ce siècle se situe sur un autre ring.

Dans le coin gauche (forcément), galbé comme une tringle à rideaux, fort d’une consistance de gelée de groseille, 43 kilos à la pesée en comptant le sarouel dégoulinant de pisse and love et les lanières de cuir de l’auto-flagellation, nous avons monsieur Progressiste. On l’applaudit bien fort s’il vous plaît, mais pas trop non plus sinon il risque d’y voir une oppression systémique.

Dans le coin droit (re-forcément), raidi to go dans un immobilisme inamovible, obtus et carré comme un vrai angulé, 88 kilos à la pesée en comptant les « c’était mieux avant » et la tonfa de plomb de la discipline nécessaire, nous avons monsieur Réac. On l’applaudit bien fort aussi s’il vous plaît, en frappant bien le plat des mains selon la tradition sinon il risque d’y voir la déliquescence de notre belle civilisation séculaire.

Réacs et progressistes s’affrontent ainsi en bataille dérangée depuis de longues années sur n’importe quel petit sujet. C’est bien simple : si un gugusse quelconque étiquetait sa merde « changement », il y aurait immédiatement des réacs pour bourdonner autour et des progressistes pour la manger. L’essentiel pour les uns et les autres, c’est de ne pas trop réfléchir. N’oublions pas que la prise de recul et la nuance sont les mamelles de l’intelligence. Le militantisme forcené s’accommode mal de ces choses-là. On ne peut pas brandir son étendard tout en prenant des pincettes. Essayez à la maison et vous allez voir comme c’est pas pratique.

Le dernier sujet en date, c’est Blanche-Neige, la princesse qui aime les pommes rouges et les nains bien montés. Personnellement, je préfère les Granny Smith et Alice David mais elle fait un peu comme elle veut. Dans le conte des frères Grimm, après moultes pérégrinations, Blanche-Neige finit endormie sous un cercueil de verre des suites d’un subterfuge de la marâtre, jalouse de sa beauté et sorcière à ses heures perdues. Un prince passe par-là, le cœur palpitant d’amour et le gros glaive qui va bien et, croyant sa dulcinée passée de vie à trépas, lui dépose un ultime baiser en guise d’au revoir. Sauf que, à l’inverse du prince, Blanche Neige n’est pas encore raide et ce baiser d’amour brise le sort. Un peu plus tard, ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et s’endettèrent sur quarante ans pour raquer un pavillon merdique en lotissement. Le conte de fées, quoi.

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C’est précisément la scène du baiser qui défrise les énervés du clan progressiste. Et le consentement dans tout ça, nous arguent-ils ? Après tout, Blanche-Neige n’a pas fait part de son désir explicite d’être embrassée, cette scène est une image d’Épinal de la culture du viol, rajoutent-ils. Bon.

La remarque de base n’est pas tout à fait fausse. Je vois moi, par exemple, je dormais à poings fermés samedi dernier des suites d’une biture monumentale (un samedi soir classique) et un ami est venu me demander ma carte bleue pour pouvoir rincer le patelin. Prenant l’adage « qui ne dit mot consent » au pied de la lettre et face à mes ronflements baveux, il l’a donc prise. Quand j’ai vu le résultat sur mon compte, j’ai bien senti que je m’étais fait baiser quelque part.

À la décharge du prince (si j’ose dire), on comprend néanmoins son geste. Tous ceux qui ont eu la chance de perdre un être cher le savent : dans la lumière tamisée du funérarium, on peut ressentir le besoin de l’embrasser une dernière fois. C’est humain. La dernière en date, c’était une de mes deux grands-mères. Je le confesse : je suis un immonde violeur. Sans demander son consentement, j’ai en effet déposé un bisou sur sa joue de porcelaine fripée. Malheureusement, elle ne s’est pas réveillée. J’aurais bien voulu.

Mais peut-être qu’elle, non.

Antonin Galano

Narration : Mélaka