L’agriculture accro aux engrais

La dépendance de l’agriculture aux engrais azotés semble un tabou du débat public. Combien de médias évoquent le rôle de ces engrais dans les pics de pollution ? Combien soulignent qu’ils sont l’une des principales contributions de la France au dérèglement climatique ? Heureusement, Mazette est là.

Ah, l’azote ! Bel élément chimique présent dans l’humus des sols, et capable de se recombiner sous une multitude de formes… Passons rapidement sur sa forme stable dans l’humus : il n’est alors « libéré » qu’au compte-goutte par l’activité de certaines bactéries, et aussitôt absorbé par les plantes pour constituer de la matière vivante. OK, en période très chaude les bactéries en dégagent un surplus sous forme d’oxydes d’azote (NO, NO2), mais rien de bien gênant. Jusque-là, tout va bien.

Cela se gâte depuis un siècle. Les agronomes ont estimé que le vivant est plus joli quand il est simplifié par des équations. Alors plutôt qu’attendre que l’azote passe de l’humus aux plantes, ils ont trouvé génial d’en apporter en surplus, sous forme minérale soluble, c’est-à-dire constamment présent et mobilisable. Pour cela, ils disposent d’engrais appelés ammonitrate et urée. Coup de chance, cela ouvrait un débouché formidable aux pauvres industries d’armement, sinistrées par la signature de l’armistice de 1918. Vous vous souvenez des explosions d’AZF à Toulouse ou de l’entrepôt de Beyrouth ? C’était juste de l’ammonitrate qui retrouvait son état sauvage : avant de devenir un engrais agricole, il avait été un explosif très en vue lors de la Première guerre mondiale. Sa reconversion fut un modèle du genre – et le point de départ de l’agrochimie.

IMG 5819 1

Le problème de cet engrais n’est pas seulement son instabilité au stockage. C’est aussi son évolution au champ : il produit d’une part du protoxyde d’azote (N2O) et d’autre part de l’ammoniac (NH3). Personne n’en parle, pourtant le protoxyde d’azote constitue 50 % de la contribution de l’agriculture française au dérèglement climatique (oui, devant l’élevage), donc au total plus de 10 % de la contribution française. C’est considérable ! Un dixième de notre impact sur le climat pourrait être rapidement effacé par la suppression des engrais azotés agricoles. L’ammoniac n’est pas mal non plus, car il se recombine avec les émissions automobiles pour constituer des nitrates d’ammonium, à savoir de l’ammonitrate sous forme de particules fines suspendues dans l’air. Ici encore, silence résolu sur le fait que ces nitrates d’ammonium sont la principale cause des pics de pollution aux particules fines au printemps et à l’automne. Oh, ne mettons pas tout sur le dos des engrais azotés de synthèse : une partie de l’ammoniac vient aussi des épandages de lisier, ce machin liquide et nauséabond issu des élevages concentrationnaires de porcs et des élevages industriels de vaches. Lui aussi épandu au printemps et à l’automne, évidemment.

Remplacer l’élevage industriel par de l’élevage à l’herbe éviterait le lisier, car les élevages herbagers produisent de l’azote stable sous forme de fumier et de compost. Développer l’agriculture biologique éviterait les apports d’azote minéral soluble (ce mode de production interdit aussi bien l’azote de synthèse que le lisier), remplacé par de l’azote organique capté naturellement dans l’air par une famille de plantes dites « légumineuses », qui le restituent ensuite au sol. C’est possible. Vraiment possible à grande échelle.

Un tel changement ne se fait pas en un jour et ne peut pas être mis sur le dos des seuls agriculteurs. Personne ne remplace sa voiture par un déplacement en vélo ou en bus tant que la collectivité ne propose ni pistes cyclables ni service de bus ! Il en va de même pour l’agriculture : la suppression de l’azote soluble, comme le changement d’agriculture en général, demande de la volonté politique et du courage. De la quoi ? Du quoi ? Pardon, je rêvais tout haut.

Jacquou le Croquant

Narration : Mélaka