Famille technologique

« C’est quoi, ce truc, papa ? » me demande Lili, ma fille de 8 ans. On est chez Luc et Séverine, des amis High-tech. Chez eux, la technologie est un art de vivre, pour ne pas dire une raison de vivre, tant ils la mettent en avant. A chaque fois qu’on y va pour diner, ils nous font l’étalage de leurs nouvelles acquisitions.

Ça avait commencé sobrement, il y a dix ans, avec une station météo. Grâce à cet engin coûteux, du moins il l’était à l’époque, ils pouvaient savoir avec une certitude atteignant les 97% de fiabilité le temps qu’il faisait dehors. Ce qui est très proche de la fiabilité absolue qui consiste à ouvrir la porte et regarder par soi-même. Évidemment, quand je l’ai fait remarquer à Luc, il m’a répondu qu’il n’avait pas besoin d’ouvrir les volets, et toc ! Remonte ton slibard Lothar !

Ils ont poursuivi leur course folle en achetant des ampoules connectées, ce qui fait qu’ils sont maintenant obligés d’utiliser une télécommande pour éteindre la lumière, télécommande qu’ils perdent sans arrêt dans la raie du cul du canapé ou sous les coussins, mais bon « ça évite de se lever, Dav ».

david berry

Aujourd’hui, ils nous font la démonstration de leur assistant vocal nouvelle génération, avec grand écran, enceinte 4 watts et qui est capable d’effectuer autant de tâches que leur ancien assistant vocal qui a aujourd’hui pris sa place dans la chambre d’Hugo, le petit dernier, véritable enfant connecté, avec tout ce qui va avec : écran greffé dans la main, regard vide et retard langagier, mais qui fait la grande fierté de ses parents car « tu te rends compte, Dav, à 1 an et demi, il savait se servir de l’Ipad tout seul. » Aujourd’hui, à 7 ans, il ne sait toujours pas mettre son froc tout seul, mais ça, Luc en parle moins.

J’ai accompagné Lili dans la chambre du gamin et c’est vrai que c’est High-tech, là aussi. Un écran géant accroché au mur, une PS4, l’assistant vocal sur sa table de chevet, une tablette et un smartphone.

Moi, dans ces cas-là, je ne la ramène pas trop parce que je n’ai pas de leçon à donner, mes enfants sont des terreurs, je ne suis pas en mesure de donner l’exemple sur quoi que ce soit, mais là, je suis navré, c’est Séverine qui m’a tendu la perche : « Ce qui est bien, avec l’assistant vocal sur la table de chevet, c’est que c’est lui qui raconte une histoire à Hugo, avant de se coucher. Finis les livres en papier responsables de la déforestation en Amazonie. »

J’ai été obligé de lui dire à Séverine que la moindre recherche sur un assistant vocal bouffait de l’énergie ici, chez elle, mais aussi sur les antennes relais, les serveurs, que ces conneries utilisaient  5% de l’électricité mondiale, et donc un max de pétrole, tout ça parce qu’elle avait la flemme de lire elle-même un livre à son rejeton, préférant rester vautrée sur son canapé à scroller des vidéos Tik-tok de poufiasses pré-pubères dont la seule raison de vivre est de savoir twerker pour encaisser des likes, et que non, on ne déforeste pas l’Amazonie pour faire des livres, qu’il y a énormément de filières responsables pour cela. Je ne sais pas trop pour le coup des livres, mais Séverine n’a pas osé sortir son smartphone pour vérifier. Elle a bien tenté de trouver quelques bienfaits à cette avalanche technologique dans la chambre du gosse, mais ça a été mis à mal quand on est allés les chercher en fin de soirée, les gamins écoutant JUL sur le smartphone (existe-t-il une manière plus débile de faire tourner des serveurs ?), cherchant sur la tablette des images de « zizis rigolos » et demandant à l’assistant vocal si Kévin Prioux, un môme de la classe d’Hugo, était le plus débile du monde.

Du coup, pour repartir de sa campagne paumée, parce qu’en plus ils vivent dans le trou du cul du monde, j’ai catégoriquement refusé d’utiliser le GPS, par principe écologique, au grand dam de ma femme. On a mis trois fois plus de temps pour rentrer, brûlé trois fois plus de carburant, et on s’est disputé trois fois plus, mais bon… on se gardera bien de le raconter à Luc et Séverine.

David Berry

Narration : Mélaka