Droit  de vote

À la maison, nous avons un certain nombre de rituels immuables, comme le hamburger-frites du mercredi midi, le cacao-chaud-brioche-Nutella du dimanche soir et le brunch du dimanche matin. Des rituels qui tournent essentiellement autour de la bouffe, finalement. Si ces rituels sont le fruit d’un consensus familial, celui du vendredi soir pose quelques problèmes : les hommes de la maison (Fiston et moi) veulent de la pizza, tandis que les femmes (mon épouse Pupuce et ma fille Lili) veulent manger chinois.

Mon fils, qui étudie les principes de la démocratie en cours d’Éducation Morale et Civique, en CE2, propose systématiquement de faire parler les urnes en organisant un vote à bulletin secret, ce qui est complètement con, car le résultat est 2 contre 2 depuis des mois, mais Fiston continue de proposer cela chaque semaine, ce qui me laisse songeur quant à sa filiation et à la fidélité de ma femme. Vendredi dernier, Lili a proposé une solution tout aussi débile : « Et si on faisait voter le chat ? »

Jésus-Claude, notre chat, n’en a strictement rien à foutre de ce qu’on mange le vendredi soir, et je m’apprêtais à renvoyer balader ma fille, m’interrogeant à voix haute sur sa filiation et la fidélité de ma femme, quand cette dernière a rétorqué :

– Pas bête, Lili. Après tout, il vit ici, sous notre toit, et il est légitime que tous les habitants de la maison aient le droit de vote. Qu’ils soient directement concernés ou non.

Évidemment, il a fallu trouver des modalités de vote. Deux gamelles, remplies de la même quantité de pâtée-pour-chat-qui-pue, derrière lesquelles étaient posées des papiers, l’un stipulant « délicieuse pizza maison » et l’autre « repas chinois qui daube » (n’y voyez aucun racisme, je préfère la pizza et j’avais envie de marquer mon exaspération d’une façon subtile ; de toute façon, depuis Materazzi, je ne peux pas non plus saquer les Italiens).

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Le chat, ou devrais-je dire « cet enfoiré de chat », a choisi le repas chinois, s’il savait le sort qu’on leur réserve là-bas…

Tout cela pose une question. Une question que se posaient déjà, d’ailleurs, les philosophes grecs.

« Faut-il laisser la totalité des habitants d’un pays voter ? »

Ouh là là, je sens monter la tension artérielle chez certain lecteur. David Berry serait-il un facho de la pire espèce ? Le genre de gars qui veut retirer le droit de vote aux étrangers ? Aux non vaccinés ?

Non. Commençons par retirer ce droit aux mecs ou aux meufs qui sont allés voir cinq fois ou plus Bienvenue chez les Ch’tis au cinéma, aux platistes, à ceux qui ne mettent pas leur clignotant dans les ronds-points, aux vieux qui vont faire leur courses le samedi et aux gens dont le QI est inférieur à leur âge. Ce sera un début. Oh puis… pendant qu’on y est, dégageons ma collègue Géromine qui chipote son verre de cidre en minaudant qu’elle ne boit pas d’alcool alors que toi, t’as juste prévu ça pour accompagner la galette des rois. Tiens, bannissons les nanas qui kiffent Bradley Cooper (bien fait, Pupuce !). Et allons-y gaiment, retirons le droit de vote aux femmes. Et aux étrangers. Et aux moins de 30 ans. Et aux plus de 50 ans. Et aux Parisiens. Et à tous ceux qui ne pensent pas comme moi !

Et merde, supprimons le droit de vote, ce sera plus simple. Laissez-moi choisir, ça ira plus vite.

Et surtout… laissez-moi manger de la pizza le vendredi soir !

David Berry

Narration : Mélaka – musique : Poko