À quoi servent les écolos ?

Dans le numéro précédent, j’ouvrais la perspective des écolos comme « force disruptive au capitalisme ». En théorie, oui. Mais de la théorie à la pratique, et de la pratique à l’efficacité, il y a un fossé.

En dépit de leurs défauts, rapportés de façon perspicace dans le film humoristique Problemos (Éric Judor), les militants écolos ont toute mon admiration. Nombreux sont ceux qui les voient en doux rêveurs sans prise sur le réel. C’est oublier un peu vite les « Zones à défendre » contre l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le barrage de Sivens, le Center Parcs à Roybon – autant de victoires qui ont abouti au recul de l’ État et des bétonneurs. Ou plus récemment les campagnes menées par les collectifs Extinction Rébellion, L214 et Les Désobéissants qui empêchent les industriels de polluer en paix. Les points « chauds » de résistance au capitalisme illustrent bien le slogan « Penser globalement, agir localement ».

Le hic, c’est que les actions coup de poing ne peuvent suffire, parce que le reste de la population pense d’abord à son confort. On se souvient que la masse des gilets jaunes était plutôt affolée par son compte en banque à la fin du mois que par la fin du monde (lire le numéro précédent où l’usine vers chez moi était à la fois le plus gros pollueur et le plus gros employeur). Les écolos semblent être condamnés à « penser global », à défaut d’accéder au pouvoir et d’être en capacité « d’agir » autrement que localement.

L’élection qui pourrait vraiment changer les choses, la présidentielle, s’est toujours soldée par des résultats catastrophiques. Jetons un coup d’œil dans le rétro. En 2002, la multiplication des candidats de gauche (avec Noël Mamère à 5%) porta les candidats de droite et d’extrême droite au second tour. Depuis, les écolos sont traumatisés : faire un score décent divise les forces et revient à éliminer la gauche du paysage !

En 2007, les écolos votèrent « utile » et sacrifièrent leurs candidats José Bové et Dominique Voynet (moins de 3% à eux deux !). Problème : dérouler le tapis rouge au PS n’a pas suffi, la droite conserva le pouvoir.

En 2011, les écolos adoptèrent la primaire pour contourner le castrateur « vote utile ». Nombreux sont ceux à avoir vu un suicide politique dans la victoire d’Eva Joly face à la star Nicolas Hulot, alors « personnalité politique préférée des Français ». On arrive au point crucial : le suffrage électoral à deux tours façonne un vainqueur qui a forcément fait des compromissions afin de bénéficier du report de voix en provenance d’autres partis. Eva Joly incarnait à 100% la base des militants verts, soit… 2% des électeurs en 2012 ! Dans la logique pernicieuse de la Vème République, un candidat trop radical prend le risque de l’isolement et d’une cuisante humiliation.

verts

En 2012, la ligne intransigeante d’Eva Joly fut ratatinée, mais l’élection de Hollande fut un tremplin pour certains à la tête de EELV. Les verts composent en effet une galaxie où s’agglutinent une base remuante et nombre de cadres arrivistes (Cécile Duflot, Pascal Canfin, Emmanuelle Cosse, Jean-Vincent Placé, Barbara Pompili et François de Rugy). Contre un ministère quelconque, les leaders rangèrent leurs convictions dans leurs culottes et donnèrent une image déplorable de l’écologie.

En 2016, EELV a subi une hémorragie de militants suite au débauchage des leaders par Hollande – qui a lui-même trahi ses promesses électorales « contre la finance », hypnotisé par Macron (ministre de l’Économie). Dans ce contexte de défiance, la primaire élimina Cécile Duflot et plaça aux commandes un outsider venu de Greenpeace, Yannick Jadot. Conscient de ses limites (obtenir les 500 signatures préalables était laborieux), Jadot fit un deal avec le vainqueur de la primaire du PS, Benoit Hamon. 2002 nous a appris que l’union est indispensable pour arriver au second tour. Mais la tambouille politicienne pour y parvenir est peu glorieuse : Hamon accepta de concéder un ministère pour Jadot, de rembourser les 200.000 euros de frais de campagne de EELV, et de retirer 40 candidats PS au profit de EELV aux législatives.

Hamon pensait avoir ses chances même avec la concurrence de Jean-Luc Mélenchon. Sauf qu’il y avait deux différences de taille par rapport à l’élection précédente : 1) Hollande avait gagné en raison de l’usure de la droite après 17 ans au pouvoir. 2) Mélenchon plafonnait à l’époque à 11%. Plus le temps passa, plus Mélenchon s’envola dans les sondages et plus Hamon battit des records d’impopularité. Hamon proposa alors un deal : il se retirait à condition d’être nommé Premier ministre une fois Mélenchon président. Cependant, avec un appareil aussi gros que le PS, la tambouille dégénéra en bataille de yaourts : Hamon avait dépensé 15 millions d’euros en campagne, et il se montra gourmand en investitures alors que Mélenchon, de son côté, voulait mettre à la retraite tous les « barons » du PS qui avaient soutenu Hollande et Valls. C’est triste de s’apercevoir que seul un poil de cul séparait les programmes PS, LFI et EELV, et que c’est une histoire de gros sous qui a tué l’union de la gauche. À l’arrivée, Hamon (et Jadot) fit 6%, ce qui permit au PS d’atteindre son pathétique objectif : se faire rembourser 8 millions par l’ État. La division priva Mélenchon de la poignée de points nécessaire pour battre Macron. Et en 2022, rebelote ? J’ai plus de place, la suite au prochain numéro !

Le Marteau

Narration : Mélaka